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La chambre

21 mai 2008

La suite

Fenêtres un peu techniquement bloquées

(et ne point m’énerver à comprendre,

comme le reste de l’univers

et en général absolument, le moindre particulier).

La suite ailleurs,

sans d’ailleurs bien savoir si ailleurs est plus « confortable ».

La routine, quoi.

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18 mai 2008

Amor fati

Degas1

Le sentiment de ne plus «marcher». Bien sûr, je «marche» encore, d’Apparaître. C’est un dimanche soir, on me pousse dans un café, en ville, encore ouvert, garni d’hommes et de femmes qui existent, se parlent, mangent, sans trop y penser. La vieille et profonde «sagesse populaire» qui s’entend à dire qu’il ne faut pas trop «penser». Cela rend «triste», de «trop penser»: la «sagesse populaire», cela, elle le «sait» aussi. Si ma mémoire n’est pas trop mauvaise, en hébreu, «marcher avec» signifie ou signifierait: «être disciple». — Je ne «marche» plus.

Faute d’un «maître» qui fût «là», je n’ai jamais été un «disciple». Mes «maîtres» étaient du passé ou du lointain, absents. Un livre, seul et dans la solitude, ne peut pas devenir un «maître», vivant. Un livre, un autre livre, une multitude de livres: une infinité de «maîtres» qui finissent par détruire la possibilité d’être un «disciple», et finalement toute «maîtrise». Je ne suis qu’une ombre qui traverse les livres, une voix perdue, insignifiante, qui murmure dans le silence du papier, à travers un écran qui n’éclaire, tout au plus, que mon obscurité.

«De sa couche elle voit se lever Vénus. Encore. De sa couche par temps clair elle voit se lever Vénus suivie du soleil. Elle en veut encore au principe de toute vie. Encore.»* Je lis de travers, comme je suis, de travers, oblique, traversant le droit, les corps, le visible, l’audible, l’Existant. Elle serait la voix et cependant carcasse, «comme changée en pierre face à la nuit» (p. 8). La langue française ne connaît que deux genres: je suis féminin. Le sexe, dans la langue, n’est pas aussi «important» que dans la «vie», je crois. Je me sais exclue du visible, exclue du langage, extraite. À peine citée, éventuellement par «moi-même», jamais aussi bien que lorsque je me trompe, à l’occasion. Psyché est étendue, la voix ne se remet pas de cette phrase entendue, perdue. «À genoux surtout elle a du mal à ne pas le rester pour toujours», me dit-elle, toujours page 8. Je peux m’arrêter là: je ne sais pas si elle est à genoux, surtout, ou si elle a du mal à ne pas le rester pour toujours, surtout. Et surtout, encore surtout, j’entends surtout que la voix est à genoux, sur tout. Comme changée en pierre face à la nuit, elle en veut encore au principe de toute vie. Encore. Elle en est encore, la voix, à la «revanche» (dont elle «jouit», p. 7).

Qu’il soit permis de s’en réjouir ou que cette vérité suscite (en moi) la consternation, le cabanon qui apparaît à la page 8, dernière ligne, in extremis, appartient tout entier à l’Apparaître de la littérature, encore.

«À l’inexistant centre d’un espace sans forme. Plutôt circulaire qu’autre chose finalement. Plat bien sûr. Pour en sortir en ligne droite elle met de cinq à dix minutes. Selon l’allure et la radiale. Elle qui aime — elle qui ne sait plus qu’errer n’erre plus jamais ici. Des cailloux y abondent toujours plus nombreux. […] Que vient faire un cabanon dans un lieu pareil? Qu’a-t-il bien pu venir y faire?» (p. 9)

Il y a trop, déjà. Ce n’est pas une «allégorie», pour l’obscure raison, devinée, que tout est «allégorie», «principe de toute vie», voix perdue qui ne sait plus qu’errer, de carcasse, et cependant n’erre plus jamais, «ici». Ici, tout est plat. Sur tout le plat à genoux, comme changée en pierre face à la nuit, la voix a surtout du mal à ne pas le rester, à genoux, pour toujours. La voix aime, encore qu’elle n’aime que cette «fatalité», pour ainsi dire.

«Comme s’il s’agissait d’une fatalité.» (p. 9)

La «fatalité» est aussi une chose que la voix se dit, comme si. Il n’y a que Vénus suivie du soleil, la voix, carcasse, et la «littérature» (le cabanon). Il y a le Ciel, incontestablement: «Spectacle saisissant sous la lune», — ce qui veut dire qu’il y a la lune. Il y a le Ciel, Vénus suivie du soleil, la lune. Il y a un spectacle, saisissant. — Je suis perdue.

Je vais donc mettre de cinq à dix minutes pour en sortir, pour sortir du plat circulaire (finalement). Autrefois, je circulais dans l’espace sans forme circulaire, sans forme et cependant circulaire, à partir d’un centre inexistant. Je ne sais plus qu’errer, et j’aime (amor fati), et cependant je n’erre plus ici, plus jamais. Je ne «lis» plus. Je «sors». Comme s’il s’agissait encore de «fatalité», amor fati. En ce moment, c’est la nuit, je ne vois pas le Ciel, sur Lausanne. Je suis seul. Nathan me dit qu’il ne veut pas «être mort». Un jour viendra peut-être, serai-je encore en vie, où peut-être il «voudra». Quatre ans, Nathan vient de découvrir l’amour de la vie. Quatre ou cinq minutes en ligne droite, je suis de nouveau un «homme». — J’ai froid.

«Il n’y a pas d’animaux et de force animale, il y a l’histoire inventée par la parole et l’histoire humaine avec ses ténèbres, son feu et ses cendres et les morceaux de paroles et de rêves qui restent après les cendres. Il n’y a pas de steppe infinie, de totems, de bouleaux devant lesquels on chamanise. Il y a seulement notre solitude immense et le souvenir de nos nuits, de nos ténèbres, de notre feu et de nos cendres. On est accroupi à l’intérieur de cela, on marmonne et on s’arrête. On avance plus loin et on s’arrête. On est plongé dans une solitude sans mesure, dans un temps sans mesure. On est au milieu des cendres de tout, on est au milieu des cendres et des souvenirs de tous et de toutes, on avance dans le noir ou on reste accroupi pendant des heures ou pendant des jours et des nuits, avec pour tout bagage une solitude immense et l’espoir de l’histoire. On avance vers l’histoire en progressant pas à pas sur les souvenirs et sur l’oubli de tous et de toutes. Dans l’image et l’histoire il y a des voix, des bruits et des paroles qui finissent par se combiner pour former un langage. Quand on est suffisamment habitué au noir on finit par entendre l’image et l’histoire, on finit par entendre le langage de l’image. On avance et on écoute.»**

— Tout va bien, surtout, dit la voix.

* Samuel Beckett, Mal vu mal dit, Minuit, 1981, p. 7. Les citations suivantes sont tirées du même livre.

** Lutz Bassmann, Avec les moines-soldats, Verdier, «Chaoïd», 2008, p. 92-93.

11 mai 2008

Un autre rêve, d’un Orient désorienté

Jean_Andr__Rixens

Le langage, avant la parole, serait l’instrument de la communauté. Comme un poisson dans l’eau, le Sujet évolue dans le langage, toujours déjà placé, situé. Tu es fille, fils, francophone, plus ou moins «lettré» (communauté dans la communauté, bocal dans le bocal; placé, situé). Personnage de femme, couchée de nonchalance à l’écart de la Scène, pendant que défilent les éléphants, rugissent les lions, se produisent les danseuses, les jongleurs, les cracheurs de feu, les métaphysiciens, derrière un carré de «poètes» qui chantent la Civilisation du Potentat. Elle rêve (un autre rêve), non moins imaginaire que la vérité des historiens. Nous sommes dans l’Antiquité (toujours déjà tardive), mais nous pourrions être auprès de Rachilde, salle de noirceur de suie embrasée, fin du XIVe siècle, dans le château médiocre d’un Prince très-chrétien, enivré. Le Temps se déverse, se propageant à l’intérieur de la rumeur, dans tous les sens. Un savant suggère que le Purgatoire est un Espace, seulement parce que le Temps s’écrit dans un langage, à plat. Je me lève, se dit-elle, puis je regarde la mer. La phrase établirait le Temps dans l’Espace, se dirait-elle. «Imagination morte», «pas encore!»: Autrefois les poètes,… Si le «Pouvoir» doit sceller sa transcendance à l’intérieur de la communauté, langage et cependant Extériorité, les poètes attenants, propriétés et dépendances à l’instar des «prophètes», en essaims serrés, auprès du Temple. Ceux qui finalement entreront dans le Livre (nommés, différenciés et différents), diront la «fausseté» de ces «prophètes», le «mensonge» du Bien proféré, ressassé. (Au contraire, «ailleurs», on annonçait la Destruction, la fin du «Pouvoir», et la destitution du «Bien».)

Parfois, je devine la raison de ma «solitude». La fenêtre des prophètes, «faussetés» du «Bien» ou «vérités» des Catastrophes, condamnée. La fenêtre des poètes, prosodie du «Pouvoir» ou «communauté» des Maudits, murée. Ni «prophète», ni «poète», incertain devant le Mur, solitaire à l’intérieur du langage, perdu. Le langage n’a jamais servi à «me dire», moi. Ce qu’il y aurait à dire, en général, ne se dit pas. «J’ai troué dans le mur de toile une fenêtre», peut encore (se) dire le poète, Stéphane Mallarmé. Je ne vois pas, moi, autour de moi. Le mur de toile n’est pas troué, comme si le Mur, de siècle en siècle, devenu total,… Les fenêtres, tout au plus dessinées, rêvées, comme si le Livre VII de La République avait été imaginé par un prisonnier (dans la Caverne, la grande École du Délire). Le destin de cette grande École fut étrange: donna naissance à la Science, grand École planétaire du Délire, effectué. Recommencer Platon à l’intérieur de Platon, maintenant que nous sommes les prisonniers du Salut? — Beckett.

Je rentre dans la Caverne, devant le Mur, à l’intérieur de l’obscurité. Ma «solitude» est communautaire, extraordinairement peuplée. Je devine deux catégories de prisonniers: ceux qui se croient «dehors», à l’intérieur du Salut (la Science, la Religion, la Poésie), et ceux qui se croient «dedans», à l’intérieur de la Totalité. La femme, couchée à l’intérieur de la Scène, ressemblerait à la Vaincue de Beckett: dans le cylindre, parmi les souffles, un dernier Orient.

Un bonheur.

9 mai 2008

Ma parole primitive, le malentendu et l’incertain

Stalingrad

 Sans doute que l’Angoisse, les péripéties, le train du temps, ces jours, écartant la fatigue, etc. L’intervention écrite, cours donnés, emmerdements plus ou moins arraisonnés, l’Angoisse devient vide, aussi calme que le «château de la pureté», ou presque. Si la fatigue est l’Espace de la dévastation (l’œil se fermant sur un monde finissant), la fatigue, maintenant, peut me dévaster.

 Je ne saurai sans doute jamais si j’ai «froissé» Lidia, inconnue. Spectrosphère d’«indécision mouvante», Apparitions. Autrefois, «malentendu» fut un mot d’ordre désordonné, confusion de panique plus ou moins active, désastre anticipé. Le «malentendu» de langue me donne, dans la langue, le pôle actif de la «réception». La langue serait-elle hypocrite: rien n’est dit de l’énonciation (dans le «malentendu»), comme si l’énoncé était «innocent». Ajuster et mieux dire: le mal-dit (le mal-«écrit»). J’avais autrefois cette naïveté: le bien-dit (le bien-«écrit»), ne pouvant engendrer le «malentendu» (le mal-déchiffré). La scène à vrai dire est cauchemardesque: Un personnage dit quelque chose. Mal dit, mettons. Voit que mal dit (confusion de panique plus ou moins active), redit. Encore mal dit, mettons. Voit que mal redit (confusion de panique, plus active si faible au début, encore plus active si active déjà, autre début). Encore une fois redit, un nombre de fois qui dépendra de trois facteurs: le temps imparti, la courbe de la panique et le moment où la «communication» se ferme (l’Idée défaite, morte et emmurée). Seule hypothèse d’intelligence (en cette naïveté d’autrefois): le mal-dit (n fois). Le contraire du «malentendu» (en somme). Le malentendu n’est jamais que la progéniture monstrueuse du mal-dit (variante). Le personnage finit par dire (seul, par hypothèse), le plus «simple». Le dernier état de la parole, au delà ou en deçà de quoi il n’y a plus rien que le silence (les larmes, la «folie»). Le dernier état de la parole tourne en boucle, en général (le personnage est seul dans la rue, de nuit). Il écoute le dernier état de la parole, se demande (en boucle d’écho), ce que ce dernier état de la parole (lui) «dit». En général, il se dit qu’il «entend», ne comprenant plus comment la langue, au dernier état de la parole, ne se comprend plus. Ce dernier état de la parole (la plus «simple»), ressemble à l’«écriture» (Maurice Blanchot). La «solitude essentielle» (dans l’écriture extraordinaire, dans la vie: terrifiante).

«Le chemin qui descend, le chemin qui monte, le Même» (ma parole primitive). La désolation se propage, arche obscure de destruction nocturne, entre le «malentendu» et le mal-dit. On dirait que tous les «pôles» de l’univers sont actifs et passifs, en même temps.

Je suis content, les étudiants du vendredi commencent à poser des questions formidables.

 Le dentiste est un «idéaliste pessimiste» (comme Adolf Karl Eichmann).

Bassmann croupit dans ma fatigue, et Koltès dans mon sac. Quand la souveraineté de la fatigue s’installe dans les territoires les plus reculés de la carcasse, la «littérature» se bloque, disparaît. Je lis en apnée Jean-Luc Nancy (Vérité de la démocratie, Galilée, «La philosophie en effet», 2008). (La carte travaillera dans mon dos, tant pis pour les sous). Livre de «souffle» (68), Pascal, Rousseau, Marx, Nietzsche, Bataille et, très-discrètement, Blanchot. Crypte de la foule très-discrète à Strasbourg, in illo tempore, Nancy sur la «démocratie» m’avait beaucoup inquiété. M’inquiète encore (un peu), me demande comment Badiou, mais comprends mieux. Petit livre de vrai «souffle», bienvenu bien-entendu (je crois). «[L]e “communisme” doit être moins avancé comme une “hypothèse”, ainsi que le fait Alain Badiou — et par conséquent moins comme une hypothèse politique à vérifier par une action politique elle-même prise dans le schème d’une lutte classique — que posé comme une donnée, comme un fait: notre donnée première. Tout d’abord, nous sommes en commun. Ensuite, nous devons devenir ce que nous sommes: la donnée est celle d’une exigence, et celle-ci est infinie» (p. 24-25, note). (On a envie de dire oui. Une ontologie. Une métaphysique. La question délicate. Nous sommes, devons devenir (je souligne). L’Être est indifférent. L’ontologie ne (nous) doit rien. Nancy le sait (citant Nietzsche). Incertain. Cela dit, chez Badiou, l’«hypothèse politique» du «communisme» n’a nullement à être «vérifiée» (comme une «conception», au sens où l’entend Nancy) par une «action politique elle-même prise dans le schème d’une lutte classique». J’ignore si Nancy vise encore Badiou, ici. Si c’est le cas, Nancy est injuste, incorrect. La «vérification» dont parle Nancy, de manière critique, ne ressemble en rien à la Vérité dont parle Badiou, de Corps.)

6 mai 2008

Finalement sans réponse, pour Lidia

Rodin1

Par le hasard sans doute de mon «oreille», ce soir, conduit à me demander qui je suis (ce soir). En ce moment précis, en admettant sans raison que je me doive d’être honnête, je dirais que je suis un sac de douleur, une pièce organique si déchirée que je tente, en vain, de trouver une «image», une «forme», un sac ou une pièce, pour contenir la douleur, la faire tenir ou l’arrêter (que je n’explose). Immédiatement je songe à Bacon, mais sans la force, sans la «couleur», sans la vie. Je ne sais ce que Bacon parvient à «transfigurer», de quel corps ne se trouvant nullement sur le tableau, de quelle «expérience», de quelle «vie». Ne sachant, ne pouvant voir ni sentir que ce que je puis voir et sentir (le tableau), je peux me dire que c’est «pire» ou moins «terrible» que cela que je ne sais dire à l’instant: «qui je suis». Je ne sais pas pourquoi je songe à Bacon (ma culture est pauvre, des préjugés). Je ne songe même pas à un tableau particulier (je chercherai, après). Je devine déjà que je ne vais pas «trouver», qu’il me faudrait chercher «ailleurs». Je devine aussi que je ne vais pas «trouver», «ailleurs». Sans fin toute la nuit je pourrais «chercher», comme si je devais m’y mettre, «peindre» à mon tour, «trouver» ce qui n’existe pas, ou du moins ce que je ne parviens pas à «trouver», «ailleurs». Bacon en ce moment, faute de mieux?

Je n’ai dans l’«écriture» qu’un seul «plaisir»: recommencer. Qui suis-je, ce soir. Ni sac, ni pièce. Ni homme, ni femme. Je ne connais rien d’autre que le sentiment d’exister. Cela vécu, en ce moment précis, comme un cauchemar, de ces cauchemars qui paraissent «sans issue». Mauvaise «image», on n’imagine pas un cauchemar dont on ne sortirait pas. On finit toujours par se réveiller, non? On ne se réveille pas. On se réveille, pour mourir. On ne profite pas de la mort. Je voudrais profiter. Je veux jouir. Je ne veux pas mourir, je ne veux pas «être mort». J’aimerais seulement sortir de cette carcasse, comme Bacon parvient à le montrer (si ma Mémoire est bonne), à l’intérieur de la carcasse. Ce que Beckett montre, à l’intérieur de la langue. J’aimerais l’intériorité d’une sortie. Une sortie sentie, vécue. Ce que j’éprouve parfois dans la «littérature». La vie s’ouvre, la vie se referme. Tu marches sur une passerelle, la lumière du jour (le bleu du ciel), la passerelle se détache (le poids est trop lourd). On ne sait pas pourquoi la passerelle se détache. La passerelle ne se détache pas, tu tombes. La passerelle n’existe pas. La jeune femme est restée sur le sol, pendant que je marchais dans la rue. Je ne marche plus dans la rue depuis des millions de lunes, je fais semblant. Les rues ne sont des gouffres que dans la «littérature». À Lausanne, les rues sont des rues, les passants des passants, l’univers est à peu près ce qu’il est, «en place». Parfois tu vois une limace, un escargot, une fleur dont tu ignores le nom, un oiseau. Cela, si je ne craignais pas un peu Bataille, pourrait t’exalter. Je devine que j’ignore à peu près tout de l’univers, cela m’exalte. Qui suis-je, en ce moment précis. Ni un homme, ni une femme, je sors dans la nuit. La nuit ne permet sortie que dans la «littérature». Autrefois j’ai marché dans la «vraie» nuit pendant des heures, à déchirer le ciel (je priais). Autrefois j’ai marché dans une telle nuit jusqu’à pleurer, puis me taire. Je suis rentré. On finit toujours par rentrer, mon désespoir. Je sais que j’ai tort de me «calmer», tort absolument. Comme je vais avoir tort de céder à la fatigue, en ce moment précis, me dire qu’il faut aller me coucher, que demain matin, demain après-midi, demain soir, mercredi matin, mercredi après-midi, jeudi, vendredi, samedi, dimanche,…

Sac serait pour dire que je ne parviendrai pas à me déchirer. Que si je me déchirais ce serait la mort, que si je ne me déchire pas c’est ceci. Je ne me déteste pas spécialement de «contenu», de «qualité». Pour parler comme mes «ancêtres», mon «destin» n’est pas spécialement «tragique», «malheureux», «abject». Je ne sais pas ce que je déteste, peut-être que je ne déteste pas. Un désir. Je voudrais sortir. Me traverser. Être ou devenir un geste, une matière, un animal, un souffle, hors de «moi». «Lire» ne me suffit pas. «Écrire» n’arrive pas. En ce moment précis, en admettant sans raison que je me doive d’être honnête, je dirais que je suis un «pauvre type». Je me le dis, bien sûr (je ne suis pas sorti de la «culture»). Sortant de la «culture», je ne me dis plus rien. Je ne sais plus. Je me demande. Je commence à me demander. Perdu, sans forme, présent comme sans doute moi seul (à pouvoir le sentir), je pourrais mieux devenir cette femme seule, nue sur le plancher, cette voix perdue d’un corps qui n’est pas, que «moi». Je fais quoi. Je suis sur le plancher, entre le parquet et ce vieux tapis rouge, perdue. Je sais bien que je vais me «lever», finir par rejoindre «mon» lit, «trouver» le «sommeil», me résumer à «Thierry Laus» demain matin (à ses obligations). Une durée et une «identité» auxquelles je consens par lâcheté, sous la peur, en raison de quelques «fidélités». Quand je songe à mes enfants, autre chose: je ne suis pas «Thierry Laus», je suis Papa. Sac de douleur ou pièce organique, douleur ou carcasse (avec ou sans organes), en ce moment précis je suis Papa.

Bâtard assez heureux de l’Antéchrist, carcasse où finalement je me découvrirais un sexe, attaché à Beckett comme à un Espace dans lequel je n’ai pas honte de «ma» langue, Angoisse capable de s’inventer un corps pour se trouver un Semblant, ou corps capable de s’inventer une Angoisse pour se trouver un Nom, pure perte, néant dans le sentiment d’exister et cependant Quelque chose, athée,…

(Finalement sans réponse, plutôt Rodin.)

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5 mai 2008

La marche des individus ne s’arrêtant jamais,…

Campillo1

J’avoue que je ne pensais pas que ferait si mal, non pas l’extraction de la dent à extraire, mais le réveil qui peu à peu éclate, m’occupant soudain (non pas tant la bouche que plutôt) l’Être-là, en sang. Les sollicitations extérieures me plongent un instant dans la folie noire brutale intérieure, panique à rejeter n’importe, excepté mes enfants. Observer comme j’observai dans l’enfance, brutalement vu et su, ce qui finalement détermine l’univers d’un individu: noyau noir et blanc de cela seul, puis cercles (plus ou moins concentriques), jusqu’à surfaces (plus ou moins lisses) qui ne signifient (presque) plus rien. Être un instant (sans importance) réduit à douleur, sans durée. Voir et savoir en cet instant comment les autres se comportent, autour de ça. Que chacun continuera, exactement comme Soi. Cela qui tombe; à côté tu verras la solitude, l’écart déjà vu déjà su dans l’enfance: Cela peut tomber, — la marche ne s’arrêtera pas. Révélation faite, tu reviens vers les hommes (tu te relèves, debout tu marches encore, tu marches et tu vas), tu as changé. Tu sais désormais à quoi t’en tenir, que l’Espèce est telle (si tu marches), et telle, si tu tombes.

2 mai 2008

Un petit faible (pour le tout en même temps)

Heidegger1

(Cela serait de l’humour, mettons Buster Keaton.) Maurice Blanchot rate l’humour de Kafka. Maurice Blanchot rate l’humour de Mallarmé. Maurice Blanchot rate l’humour de Beckett. Maurice Blanchot rate l’humour de Michaux. Maurice Blanchot rate-t-il l’humour de Blanchot? Sujet de thèse, au travail! Maurice Blanchot ne rate pas l’humour de Rilke, pour la très-sérieuse raison que Rilke n’a pas d’humour (que je sache). Est-ce que je rate l’humour de Rilke? Sujet de conversation. C’est drôle, extraordinairement drôle, une écriture sans humour. Quand elle atteint son «zénith» (les Élégies et les Sonnets), l’humour n’est plus une question (une qualité de la Matière). Lorsqu’elle y monte ou en descend, le voyageur qui a perdu son ombre devient comique, à ses dépends. Rilke est parfois sublime, et souvent nul. Les derniers poèmes (en français) sont à pleurer (de beauté). La tragédie sans nom qui déchire la très-frêle voilure de mon existence et détruit ma bibliothèque à peu près digne de celle d’Alexandrie (la disloquant entre la chambre, ici, et le souterrain de la maison, là-bas), la tragédie, dis-je, (la phrase est finie, hélas). Kafka est drôle, Mallarmé est très drôle, Beckett est pire drôle, Michaux je ne sais pas (encore) dire. Cela dit sans la moindre nuance de reproche, de Blanchot: l’humour divise, les corps se séparent et dans l’écart, on peut rire, pleurer ou méditer! J’avoue que j’ai un petit faible pour le tout à la fois, en même temps et au même endroit.

2 mai 2008

Incrustations fantomales (sans ressembler)

Caspar_David_Friedrich1

Si vague présence (si pouvait se dire), fièvre passée (vide en lieu et place), ne sachant comment prendre de corps (Blanchot et Mallarmé si bientôt), prendre de corps quand le corps est encore pris de voix (par la toux), de tête (par le silence qui n’en finit plus de solliciter ces mots qui naturellement feraient mieux de), à l’entrée qui serait de Matière,… Légère petite Angoisse de voir que les mots adressés aux êtres chers, ici, ne parviennent plus à traverser le sable de l’ordinateur, messages d’erreur sans bien comprendre, problème en tâtonnant résolu, à l’aveugle,… La trace ou la main de la petite Angoisse, persistance fantomale, après que le problème, sans plus savoir de quelle sorte d’animal, disparu,… Quand le corps devient presque sain, devient-il cette persistance fantomale, légère petite ou sévère Angoisse de ne plus connaître ce qui, naguère ou autrefois, mordait, menaçait, occupait l’Espace? Elle inventerait, pour garder la forme? Ils sont encore si «doux», ces Spectres qui envahissent l’écran, ces Monstres qui demeurent dans le visible, y surviennent (à l’entrée de Matière qui serait), d’un Espace à ressembler,…

1 mai 2008

Le vide serait Quelque chose

Andr__Kert_sz1

Inutile de me coucher. Inutile de me lever. Inutile de penser. Inutile de lire. Inutile de parler. Inutile de me taire. Inutile de souhaiter de mourir. Inutile de souhaiter de vivre. Inutile de souhaiter de pleurer. Inutile de souhaiter de ne point sentir. Inutile de souhaiter de sentir mieux. Je pourrais me tenir seule, quelque part dans le silence. Je recule devant Blanchot, Mallarmé. Je me tiens seule, quelque part dans le silence, sans pouvoir. Je n’ai pas la tête, entourée. Je n’ai pas la gorge, brûlée. Je n’ai pas la voix, pas la poitrine, pas le corps, pas le toucher. Je pourrais être nue, quelque part sur le plancher. La fièvre serait tombée, au même instant que moi. Je devine que je pourrais me relever (tout doucement), me tenir debout, quelque part dans le silence, au-dessus du plancher. Au-dessus du plancher il y a moi, ce doit être mon Espace; quelque chose autour de moi (le vide n’existe pas). Je me tiens seule ici, inutile de me voir ailleurs; un autre silence, un autre sol, inutile de souhaiter. Je soupçonne l’existence de ce vide qui me soutient, un Élément qui ne serait ni l’air ni la terre, ni l’eau ni le feu. Un cinquième Élément qui n’est pas le vide et qui serait le vide, si le vide était Quelque chose. Le silence ne serait pas le négatif de la parole, le dénué de tout sens. Le silence dénué ne serait pas le dénué de sens (en me taisant se voit). — J’existe.

1 mai 2008

Malgré la nuit sans pouvoir (disparaître en celui)

Cronenberg1

La seule voix que je puisse perdre, puisque je la possédais, désormais perdue. Jour si grand que l’on a peine à le mesurer (d’un commencement à travers un corps, à partir d’une fin). Sur mon nouvel ordinateur s’affichent une pendule, un calendrier, et je laisse pour l’instant un amusement qui me signale le temps qu’il fait à côté de moi (pluie nocturne à Lausanne, 8°). Où suis-je, ma question préférée. On a été en station orbitale (pour que j’y sois), installer mon nouvel ordinateur grâce à Matthieu, voir Jacques (parler d’Eichmann), se réjouit de me découvrir du nez, puis sans fin les «expertises» des travaux de l’École polytechnique (Torah, Adventistes, Mennonites, Baptistes, Témoins de Jéhovah), excellents. Surtout m’impressionne cette jeune fille (germanophone) commençant n’y connaissant rien puis nous parlant comme elle nous parla («terrain», lecture et travail). Comprend désormais mieux que bien des savoirs qui gesticulent, parce que désirait sincèrement comprendre, réussi. Fini dans le soir, le froid, la pluie. Pierre, Thibault, puis Claudia, Thibault. Dernier bus sans pouvoir ouvrir le sac (trop fatigué absent), la nuit, le froid et la pluie. Ne pourra se coucher, celui qui ne me concerne, pas avant d’avoir perdu celui qui ne me concerne (celui qui «parle»). Ainsi de parler de la Shoah (sous invitation de Claudia cependant que déjà Thibault), voix finalement perdue. Se demandait Thibault pourquoi se «censurait» devant Caroline ou Jacques, lorsque venait dans sa voix ceci ou cela. Voyait du mal à cela, Thibault. Me disant (celui qui hélas «parle» encore): N’en vois pas, du moins si l’interruption de voix donne à penser ce qui, ensuite seulement, mériterait encore de ne point être «censuré». Peu de chose, non pas quand cervelle y pense, mais corps. Peu de chose. Si peu reste, oser dire alors peut-être, mais devant corps. Me disant que toujours «parler» comme si devant corps, présent, mort, ou détruit. Voir si, devant corps, mot peut être dit. Peut se dire dans le différend, voix contre voix, obscurité sans autre clarté, par hypothèse ou réalité, que celle de voix contre voix, corps devant corps. Regard droit. Si moins que peu de chose, oser dire alors que rien, pas assez, pas encore. Me souviens de la patience de Kafka. Minimise ce qui dans son «travail» humanisait l’inhumaine Machine qui travaillait patiemment, contre les corps des hommes. Minutieusement pensée, observée, démontée. Kafka écrivait. Avant de coucher finalement la carcasse de celui qui ne parvient pas à disparaître, un petit récit quelconque. Puis disparaît.

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